Un quart de siècle. C’est le temps qu’il aura fallu pour que justice soit rendue à une famille confrontée à l’irréparable : la naissance d’un enfant devenu lourdement handicapé à la suite d’une erreur médicale. Le 13 juin 2025, le tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU à verser plus de 2,5 millions d’euros à la famille d’un patient aujourd’hui adulte, pour les graves séquelles d’une anoxie périnatale survenue à sa naissance en 1999. Un drame ancien mais encore brûlant.
Cette décision, rare par son ampleur financière, est aussi un signal fort adressé à l’ensemble du système hospitalier français : la réparation des fautes médicales, même anciennes, est un devoir moral aussi bien qu’institutionnel.
Une vie bouleversée dès la naissance
L’anoxie périnatale, c’est ce moment suspendu où l’oxygène cesse de parvenir au cerveau du nouveau-né. Quelques secondes, parfois, suffisent à provoquer l’irréparable. Dans ce cas précis, les lésions cérébrales ont été massives. L’enfant a grandi avec un taux de handicap évalué à 95 %, totalement dépendant pour les actes du quotidien, incapable de marcher, de parler ou d’apprendre comme les autres.
La responsabilité du CHU avait déjà été reconnue dès 2006. Mais il aura fallu attendre la majorité de la victime pour que soient précisément évalués ses besoins à long terme : assistance 24h/24, équipements adaptés, soins constants. Le tribunal a validé un ensemble d’indemnisations : rente trimestrielle, capital pour aménager le domicile, frais de santé à vie.
2,5 millions d’euros : réparation ou symbole ?
Le montant peut sembler vertigineux. Le CHU de Rennes avait d’ailleurs demandé sa révision à la baisse, estimant la somme “disproportionnée”. Mais le tribunal a confirmé : ce chiffre n’est pas une sanction, mais une traduction financière — certes imparfaite — d’un destin fauché à la naissance. Il s’agit de garantir un minimum de dignité, de soins, d’autonomie partielle pour une existence qui, sans faute de sa part, aura été marquée par l’immobilité, la dépendance et la douleur.
Un cas exceptionnel, mais pas isolé
En France, on estime chaque année à environ 300 000 le nombre d’événements indésirables graves liés à une prise en charge médicale, dont près de 50 000 pourraient être évités. Si la plupart n’engendrent pas de contentieux, certains débouchent sur des drames humains majeurs.
L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), chargé de prendre le relais des hôpitaux dans ces dossiers, reçoit chaque année plus de 13 000 demandes, dont 4 à 5 000 se soldent par une indemnisation. Mais les cas dépassant le million d’euros restent très rares — preuve de la gravité exceptionnelle des faits.
Ville | Montant alloué | Motif de l’indemnisation |
---|---|---|
Nantes (CHU) | 3 M€ | Erreur d’anesthésie lors d’un accouchement |
Paris (Hôpital Necker) | 2,1 M€ | Infection post-opératoire mal prise en charge |
Lyon (Édouard-Herriot) | 1,7 M€ | AVC non diagnostiqué |
Rennes (CHU) | 2,5 M€ | Anoxie périnatale avec handicap irréversible |
Entre réparation et crise hospitalière
Ce jugement rennais ne peut être lu sans penser au contexte global. L’hôpital public traverse une crise profonde : épuisement des soignants, manque de lits, burn-out généralisé. Dans ce paysage tendu, les erreurs médicales ne sont pas seulement des tragédies individuelles : elles interrogent un système entier.
Comment éviter que la peur du contentieux n’engendre une “médecine défensive” ? Comment préserver la confiance des familles sans précariser les hôpitaux ? Et surtout, comment mieux prévenir ces erreurs, en soutenant plutôt qu’en punissant les professionnels ?
Pour que plus jamais ça
Ce drame n’est pas qu’un fait divers judiciaire. C’est le rappel que derrière chaque acte médical, il y a un engagement humain, une responsabilité immense — et parfois, une faille. La réparation financière, aussi élevée soit-elle, ne répare pas tout. Mais elle est un pas, indispensable, vers la reconnaissance, la dignité, et, espérons-le, la prévention. Et peut-être, dans le tumulte des hôpitaux, cette affaire contribuera-t-elle à ce que les cris silencieux des patients en détresse soient mieux entendus.