Finistère. Qui était Marguerite Sérusier ? Portrait de l’artiste à la création spontanée

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Madame Sérusier à l'ombrelle, Paul Sérusier, 1912. Saint-Germain-en-Laye, Musée départemental Maurice Denis

À l’occasion de l’ouverture du musée Sérusier, à Châteauneuf-du-Faou le 21 juin 2025, et de la publication aux éditions Locus Solus de deux ouvrages concernant le couple Sérusier, Unidivers revient sur la création artistique d’inspiration nabie de Marguerite Sérusier, artiste avant d’être épouse.

Le musée Sérusier a été inauguré à Châteauneuf-du-Faou, dans le Finistère, samedi 21 juin 2025. Il est le premier qui rassemble les œuvres de Paul et Marguerite Sérusier, deux figures du mouvement postimpressionniste des Nabis ayant habité la commune au début du XXe siècle. Si nous avions déjà dédié un article à Paul Sérusier, ce ne fut pas encore le cas pour son épouse, également artiste, Marguerite Sérusier (1879-1950). À l’occasion de l’inauguration du Musée Sérusier et de deux ouvrages publiés aux éditions Locus Solus (Marguerite Sérusier, la création spontanée de Virginie Foutel ; Marguerite et Paul Sérusier, musée Sérusier, la collection révélée d’Anne Le Duigou), nous rectifions le tir et regardons de plus près cette oeuvre picturale originale et personnelle empreinte de son amour pour les arts décoratifs.

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Marguerite et Paul Sérusier © Archives musée Sérusier

Joliment habillée du Paravent vallonné à quatre feuilles, la couverture de Marguerite Sérusier, la création spontanée de Virginie Foutel révéle le talents de la peintre et styliste française, domiciliée à Châteauneuf-du-Faou avec son mari jusqu’à sa mort, pour les arts décoratifs. Nous voilà ici à la surface de la vie artistique de Marguerite Sérusier, artiste avant d’être épouse. Cependant, elle fut de ces femmes qui ont pris pour mari un artiste, ici Paul Sérusier, théoricien des Nabis. De ce fait, elle a souvent été réduite au rang d’élève et d’épouse. Mais bien que l’on connaisse peu de choses de sa vie et de sa production artistique avant son mariage, Louise Marguerite Gabriel-Claude n’était pas la « femme de », sa créativité est antérieure à la rencontre avec le peintre représentant du Nabi. « Son parcours donne un bel exemple de l’enseignement et de la pratique artistique des femmes du début du XXe siècle », écrit Anne Le Duigou dans Marguerite et Paul Sérusier, musée Sérusier, la collection révélée.

Comme le souligne l’historienne de l’art Virginie Foutel, fine connaisseuse du travail de la peintre et auteure de Marguerite Sérusier, la création spontanée, ce que l’on sait d’elle montre une destinée très tôt dirigée dans le domaine artistique, entre enseignement et création : en 1902, alors qu’elle a 23 ans, elle commence à enseigner au collège des filles de Montargis après avoir obtenu le certificat d’aptitude à l’enseignement du dessin de l’École normale de Melun. Mais son envie de poursuivre ses études d’art la mène à Paris en 1904, où elle entre à l’école des Beaux-Arts. Dès 1907, elle est chargée de cours de dessin dans les écoles de la Ville de Paris.

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Extrait de Marguerite Sérusier, la création spontanée de Virginie Foutel

Une pédagogue de la création libre

Si étudier aux Beaux-Arts a révélé l’artiste qui était en elle, son poste de professeur en a révélé la pédagogue. « Elle en a reçu la formation, mais elle en a l’esprit inné ». Définie comme une « artiste consciencieuse » par Roger de la Fresnay, Marguerite Sérusier met en place une technique d’apprentissage singulière et novatrice dans laquelle prévaut « l’instinct primordial créateur » : l’atelier du dessin spontané. Son but était de ne pas brider les jeunes dessinatrices et de laisser parler leur créativité naturelle.

Insatisfaite des Beaux-Arts, elle quitte l’établissement pour rejoindre l’Académie Rançon début 1909, devenant une des premières à s’inscrire. Sa principale motivation : les cours d’initiation à la peinture décorative et à la décoration d’objets et de surfaces variées dispensée par Paul Sérusier et Maurice Denis, rencontrés quelques années plus tôt. Au delà d’apporter une sûreté financière à sa femme, Paul-Elie Ranson, malade, crée cette « académie nabie » avec l’objectif « d’ouvrir à Paris une école d’arts décoratifs qui propose une nouvelle vision de l’art », plus moderne et libre. Une des seules œuvres de Marguerite datée de cette période est un magnifique paravent intitulé Paysage vallonné à quatre feuilles (vers 1910), inspiré de celui de Sérusier réalisé en 1893, dans lequel on peut trouver une inspiration japonisante.

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Paysage vallonné à quatre feuilles, vers 1910, détrempe sur toile. Paris, musée d’Orsay

Une artiste des arts décoratifs

Dans l’art de Marguerite Sérusier, les arts décoratifs ne sont jamais loin. Dès 1904, avant son entrée aux Beaux-Arts, elle expose des cuirs d’art au salon de la société des artistes français où elle prend d’ailleurs le prénom Marguerite. Ses créations seront d’ailleurs considérés comme « traités avec beaucoup d’ingéniosité et d’adresse » par la presse. Si on ne conserve de ses cuirs que deux photos de coussin, ces derniers montrent la finesse de son travail son goût pour les motifs issus de la nature. les animaux et les fleurs, particulièrement les anémones et les fougères sa signature, restent en effet un de ses sujets de prédilection. L’artiste s’inspire des motifs de la nature et en exacerbe l’aspect décoratif et ornemental, comme on peut le voir dans les collections du musée Sérusier.

C’est d’ailleurs cette singularité dans son travail qui attirera la couturier Paul Poiret, rencontré par l’entremise de Maurice Denis et Paul Sérusier et à la recherche d’une nouvelle vision des motifs. Elle collabore avec lui pour des imprimés de tissus avant de s’occuper d’un atelier créé au printemps 1911 et dédié à la création de motifs : L’École Martine. Elle y met en application sa méthode dans le domaine des arts décoratifs.

Mariée en 1912, elle rejoint Paul Sérusier et s’installer à Châteauneuf-du-Faou et les paysages boisés et vallonnés bretons. Le couple partage les mêmes inspirations et s’inspirent mutuellement, en témoignent notamment leurs collections conservées au musée Sérusier, qu’il est partage difficile d’attribuer les oeuvres de l’un et de l’autre.

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Marguerite et Paul Sérusier, musée Sérusier, la collection révélée d’Anne Le Duigou

Sa carrière bascule au tournant des années 1920 : La perte d’un enfant, mort né, réveille une mélancolie pré-existante chez elle, elle est hospitalisée à Morlaix en 1921. La longue traversée du désert qui suivra entraînera l’arrêt de son art et l’oubli de son nom pour devenir « Madame Paul Sérusier »…

Ce n’est qu’au début des années 1930, après le décès brutal de son mari en 1927, qu’elle reprend goût au dessin alors qu’elle a entrepris le projet de répertorier l’oeuvre de son mari, soutenu par Maurice Denis. « Elle profite de journées printanières pour reprendre ses « études » de la nature, tel le « colza illuminant la vallée ». » De même l’enseignement revient dans sa vie. Cependant, même si elle donne de nouveau des cours de broderies et de restaurations de vêtements traditionnels bretons, sa priorité restera de valoriser l’oeuvre de son mari, et ce jusqu’à sa mort en 1950.

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Marguerite Sérusier, Cerisier en fleurs près de la rivière, 1948 © musée Sérusier/Bernard Galéron

Marguerite et Paul SÉRUSIER – La collection révélée – Catalogue du musée Sérusier, Anne LE DUIGOU. Éditions Locus Solus. 192 pages. 20 €. ISBN 978-2-36833-560-4. Parution : 13/06/2025

Marguerite Sérusier, la création spontanée de Virginie Foutel. Editions Locus Solus, collection 36 Vues. 12€90. ISBN 978-2-36833-564-2.